Un auteur à suivre : Maria Ernestam

Publié le par élan

 

Ernestam

 


Maria Ernestam est née le 28 novembre 1959. Elle a grandi à Uppsala a étudié les mathématiques et la littérature anglaise, avant de devenir journaliste. Elle a séjourné aux États Unis où elle a obtenu un diplôme en Sciences politiques et en Allemagne où elle a été durant onze ans correspondante pour Veckans affärer et Dagens medicin. Elle a débuté en littérature en 2005. Outre quelques collaborations à des recueils, elle a publié, à ce jour, cinq romans.

2005 – Caipirinha med Döden (roman)
2006 – Busters öron (roman) - Les oreilles de Buster
2007 – Kleopatras kam (roman)
2008 – Alltid hos dig (roman) - Toujours avec toi
2010 – På andra sidan solen (roman)



Toujours avec toi

    Inga Rasmundsen, photographe, la cinquantaine, voit sa vie basculer un jour de 2005 où son mari Mårten meurt d’un infarctus. Elle ne s’en remet pas et, deux ans plus tard, elle décide de se retirer dans la maison de vacances que sa famille possède sur l’île de Marstrand. Là, en effectuant du rangement, elle découvre une boîte contenant des coupures de journaux datant de 1916 et une lettre de la même année au contenu assez sibyllin. Il y est question, en particulier, de « cette nuit que ni toi ni moi n’oublierons, et dont nous devrons endurer le souvenir pendant le restant de nos jours » et où « nous avons usurpé le droit de condamner morts et vivants. » Intriguée, Inga trouve là un dérivatif pour oublier son malheur personnel et se lance à la recherche d’explications sur les événements dramatiques mentionnés dans la lettre.
    Maria Ernestam fait évoluer son roman sur deux plans temporels. Le premier se situe en 2007, c’est la quête d’Inga, sa recherche de tous les renseignements glanables sur sa grand-mère Rakel (celle à qui la lettre a été adressée) et son amie Lea (celle qui l’a rédigée). Le second nous conduit en 1959 alors que Rakel vit ses derniers moments et se remémore sa vie, particulièrement ce qui s’est passé en 1916. C’est, pour le lecteur, un complément intéressant en informations que ne pourra obtenir Inga (née l’année de la mort de son aïeule !), même si elle réussira finalement a connaître le fin mot de l’histoire. L’intrigue, bien agencée, mélange habilement le plus intime (les secrets de famille) avec la grande histoire (la bataille du Jutland et son lot de cadavres dérivant vers les côtes suédoises). Le contexte social est très juste (d’une famille paysanne baptiste du Närke à l’attrait d’un Göteborg en pleine expansion) et la psychologie des personnages fouillée. Bref, ne manquez pas ce « ce coup de pied dans une fourmilière de vieux secrets de famille », le livre vaut le déplacement.

Toujours avec toi (Alltid hos dig, 2008), trad. Esther Sermage, Gaïa, 2010, 411 p., 23 €


Les oreilles de Buster

    Eva vit avec Sven, à Frillesås, sur la côte ouest de la Suède. Elle consacre sa vie à ses rosiers, à sa fille Susanne et à ses amies. Susanne, 38 ans, vient de divorcer et reste seule avec ses trois enfants : Per, Mari et Anna-Clara. Pour son anniversaire, – elle vient d’avoir 56 ans –, Anna-Clara offre à sa grand-mère un carnet où elle commence à noter, d’une part, ses impressions journalières et où, d’autre part, elle revient sur sa vie. Son journal intime, commencé le treize juin, débute ainsi : « J’avais sept ans quand j’ai décidé de tuer ma mère. Et dix-sept ans quand j’ai finalement mis mon projet à exécution. » Le journal se terminera le 12 août.
    Le présent occupe une modeste part des confidences d’Eva : l’aide qu’elle apporte à une femme âgée acariâtre, Irène Sörenson ; ses relations avec ses amies Petra (qui soudain chasse son mari du domicile conjugal) et Gudrun. Sa vie avec Sven est plutôt calme et même s’ils s’inquiètent pour Susanne, ils la pensent suffisamment volontaire pour s’en sortir. Leurs relations vont devenir plus conflictuelles lorsqu’un problème de vieilles canalisations à remplacer se pose : il va falloir intervenir au niveau de la roseraie…
    Le passé d’Eva est marqué par la rivalité qui l’oppose à une mère qui ne voit en elle que des aspects négatifs et ne manque pas une occasion de l’humilier. Commence dont assez rapidement à germer en Eva l’idée de se venger, puis, quand la coupe est pleine, de tuer sa mère. Elle s’entraîne en exécutant le chien Buster (dont elle va conserver précieusement les oreilles à qui elle fera par la suite ses confidences), en faisant renvoyer une enseignante, Karin Thulin, qui avait fait une réflexion à ses parents sur son attitude en classe, la privant ainsi du hamster qui lui avait été promis. Sa victime suivante est un collègue de sa mère, Björn Sundin, qu’elle attire dans son lit, avant de lui faire se refermer une tapette à souris sur le sexe. Tout semble pourtant devoir s’arranger pour Eva lorsqu’elle rencontre un jeune Anglais, John Langley. Mais, là encore, c’est compter sans sa mère…
    Enceinte de John, Eva décide de garder l’enfant et d’aller vivre à Frillesås. Là, sa mère vient la provoquer une dernière fois. Le ton monte et Eva la tue accidentellement en lui balançant une statue de marbre à la tête. Elle enterre le corps près de la maison et plante des rosiers sur carré de terre qu’elle a creusé. Son père, Sven, vient la rejoindre pour l’aider et restera vivre avec elle.
    « Seules les oreilles de Buster avaient la patience d’entendre les tenants et aboutissants de mon histoire », confie Eva à son journal. Le lecteur de ce roman de Maria Ernestam n’aura peut-être pas la même patience, car il voudra vite tout savoir de la vie d’Eva. Le livre débute assez doucement, comme une petite chronique familiale et provinciale, loin des agitations du monde et des villes. Mais c’est là apparence trompeuse, car, sans qu’on s’en rende compte, l’auteur truffe son récit d’informations dont ledit lecteur ne comprendra l’importance qu’à mesure qu’il progresse dans le récit. Il aura même tout intérêt à faire une seconde lecture de l’ouvrage quand il aura eu connaissances, pour reprendre ses propres mots, des tenants et des aboutissants de l’histoire d’Eva. Tout sonne juste psychologiquement dans ce portrait d’une jeune fille malmenée par l’existence entre une mère odieuse et tyrannique et un père gentil mais faible. Le contexte social et historique est également évoqué avec une grande justesse.

 

Les oreilles de Buster (Buster öron, 2006), trad. Esther Sermage, Gaïa, 2011, 413 p., 24 €

 

Denis Ballu, 24/10/2010

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